La Suisse est intéressante. Une tendance semble se dégager des premières élections cantonales: la gauche et les Verts perdent, les partis bourgeois progressent. Quelles en sont les raisons?

D'une part, en période de difficultés économiques, les électeurs ne prennent pas de risques. Ils sont plus prudents, plus conservateurs, plus critiques. Après l'abolition du taux plancher euro-franc, bon nombre de personnes se sont rendu compte qu'il faudrait à nouveau travailler plus et plus dur. Une telle politique vient plutôt du camp bourgeois. Quand les marges de manœuvre sont réduites, les partis conservateurs ont l'avantage. 

D'autre part, la gauche et les Verts paient leur politique des illusions. Ils ne devraient pas prendre ces pertes à la légère. Bien sûr, les Verts font aussi les frais de quelques scandales dans leurs propres rangs: Geri Müller, Jolanda Spiess-Hegglin. Mais il est aussi permis de supposer que s'expriment là des antipathies politiques plus profondes. Sous l'effet des images de la catastrophe de Fukushima, les Verts ont prôné une transition énergétique sur laquelle le peuple n'a jusqu'à présent pas encore eu l'occasion de s'exprimer. Certains partis bourgeois leur ont emboîté le pas, mais moins par conviction que par peur de passer à côté d’une question prétendument populaire.

Il se peut qu'il y ait en Suisse un large scepticisme théorique envers l'énergie nucléaire. Schaffhouse a récemment voté pour une sortie du nucléaire civil. Mais à l'heure de s'acquitter d'une taxe supplémentaire minime sur l'énergie, les Schaffhousois y ont opposé leur veto dans les urnes. Dès que la transition énergétique touche au porte-monnaie, les Suisses deviennent pragmatiques et raisonnables. La fascination pour la transformation énergétique verte est terminée. La menace des coûts a déclenché des craintes massives. 

La situation n'est guère meilleure à gauche. Le président du parti, Levrat, aime certes bien parler haut et fort, mais dans le fond les sociaux-démocrates ne font pas grand-chose. Il ne s'écoule pas un jour sans son lot de mauvaises nouvelles concernant l'État providence suisse bien réel. Les gens commencent à réaliser que certaines choses vont fondamentalement de travers.

À vrai dire, les sociaux-démocrates seraient en quelque sorte prédestinés pour aborder la question. En Allemagne, le SPD sous l'égide de l'ex-chancelier Schröder a réalisé que des réformes urgentes s'imposaient. L'«Agenda 2010» était juste, même s'il était peu populaire parmi les camarades. Au final, il a coûté l'élection de Schröder au profit de Merkel. Néanmoins, les sociaux-démocrates allemands avaient au moins eu le courage de s'attaquer aux sujets brûlants. En Suisse, la gauche enjolive les problèmes. 

C'est peut-être là que réside le problème de la démocratie de consensus: en Suisse, la gauche n'a jamais vraiment besoin d'assumer les responsabilités. Elle peut tranquillement se payer le luxe de ses idéologies financées par d'autres. Elle continue de miser sur des hausses d'impôts et sur un État providence maternant sans borne. En période de tensions économiques, les gens sont plus facilement prêts à déceler la folie économique qui se cache derrière ces concepts.

Nous sommes encore sous le coup de la stupeur à propos du massacre commis de sang-froid par le co-pilote de 27 ans de la Lufthansa, qui a délibérément dirigé son appareil et ses 150 passagers contre une paroi rocheuse en France. Il respirait calmement, tandis que son capitaine tentait en vain de défoncer la porte du cockpit. Aucune expertise psychiatrique ne diminuera l'incommensurable cruauté de cet acte commis par un Allemand responsable et pleinement conscient. Pendant les huit minutes de descente fatale de l'avion, Andreas Lubitz était maître à bord de la vie et de la mort. Il doit avoir ressenti une immense satisfaction, un plaisir pervers de se prendre, pendant un bref instant, pour un Dieu diabolique allant contre tous les élans de compassion et de bon sens. Il faut, hélas, toujours s'attendre au pire avec l’homme.

La manière dont les historiens dans nos universités ne tiennent pas compte de l'histoire transmise relève d'une incroyable arrogance et suffisance. Au nom d'une indépendance de valeur prétendument scientifique, des mythes de la gauche sont tout simplement projetés sur l'histoire. On voit soudain partout à l'œuvre les forces pernicieuses du «capital», de «l'exclusion» ou d'une «réinterprétation par la droite nationale de l'histoire». Il est fort possible que chaque camp historique entretienne ses mythes politiques. Il faut toutefois ici se défaire d'une opposition par trop naïve entre mythe et vérité. Il n'est pas vrai que les historiens de métier soient les garants d'une vérité objective. Au contraire. Leurs conceptions sont tout autant l'émanation d'obsessions et d'intérêts subjectifs que les interprétations du camp adverse auquel les scientifiques dénient, a priori, le droit à la vérité.

Les deux camps ont leurs mythes. Mais il y a des mythes utiles et d'autres qui le sont moins. Le mythe allemand des Nibelungen, par exemple, s'est terminé par un carnage autodestructeur que les Allemands bien réels se sont effectivement infligé à eux-mêmes, ainsi qu'au monde, durant la dernière guerre mondiale. Ce mythe allie des désirs d'omnipotence au désir de mort. C'est pourquoi il a perdu sa force après 1945. Il n'en va pas de même des légendes historiques de libération de la Suisse. Elles ne sont certes pas inventées de toutes pièces, mais ne se sont pas exactement déroulées comme elles nous ont été racontées de Tell à Winkelried. Indépendamment de cela, leur pouvoir de fascination reste intact. Elles semblent contenir également pour les générations actuelles des vérités intéressantes. Il y a bien mythe et mythe. Les historiens de gauche mainstream font comme s'ils avaient le monopole de la vérité. Un vrai mythe, un vrai conte de fées!